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Trente-troisième semaine

«Un autre jour se lève sur la planète France.» Quelle phrase et quel début? Il était évident que Stéphane n’avait pas raté le début de son anniversaire, un anniversaire historique, certes, pas pour le monde entier, mais sans doute pour lui-même. Jamais dans sa vie il s’était senti aussi âgé, son but principal, se sentir âgé. Stéphane ne comprenait pas du tout des gens tels que sa sœur qui étaient tout le temps en train de regretter une jeunesse écoulée. Lui, il n’avait rien fait dans sa jeunesse, sauf de regarder ran avec Jörg Wontorra, Johannes B. Kerner et l’autre mec, dont il avait oublié le nom et tout cela seulement pour constater le déclin de Thomas Doll. Et il avait vite réalisé que chaque année de plus signifiait une restriction de moins. A 18 ans, le permis de conduire, bien sûr, il n’avait pas l’argent, mais s’il y avait eu, il aurait pu le faire. A 19 ans, toujours la possibilité d’avoir son permis. Il fallait seulement réussir à l’examen du permis de conduire, ce que ne marche pas forcement d’emblée. Mais si cela avait marché, il l’aurait eu, son permis. A 20 ans le permis, même si en réalité il n’avait point d’envies de conduire. Mais on ne peut pas reprocher le manque de motivation à l’âge. C’est Stéphane qu’il faut critiquer. A 21 ans, la possibilité d’émigrer aux Etats-Unis afin d’y boire un coup, un coup alcoolique. A l’époque, il  avait renoncé à cette option à cause de son allergie au Gin Tonic, mais c’était toujours rassurant de pouvoir changer d’avis.

 

Et maintenant 24 ans, enfin, l’âge d’or, the golden age. Bientôt la retraite. Pour y parvenir, il devait seulement d’abord finir ses études et manier environ 40 ans entre travail et chômage. Mais ça, ça passe vite. Et ensuite la mort. Stéphane se réjouissait à l’idée de s’approcher de la mort. La plupart des gens en avaient peur, bien qu’elle ait beaucoup d’avantages. Plus d’impôts à payer, plus de portables qui sonnent, plus de filles qui t’ignorent. Pour mieux apprécier la fin de la vie il était préférable de gâcher son existence et de vivre sans cesse dans la misère. Une telle détresse adoucissait l’adieu. En outre, il y avait beaucoup de cultures où la mort était accompagnée de super-fêtes.

 

Non vraiment, il était heureux. Les conditions étaient favorables. Dehors, la pluie s’était mise à tomber. Mais pas n’importe qu’elle pluie: des averses de pluie royales et des rafales de vents. On pourrait parler d’une tempête. Comment c’était beau, fini le soleil et la chaleur d’hier. A Berlin, Stéphane ne pouvait pas compter sur ce mois qui souvent n’avait qu’une seule ambition, annoncer l’été. A propos Berlin, le lieu bien sûr. Berlin, en tant que ville sans aucun doute de loin plus intéressante et passionnante que Pau. A Berlin, il y avait toujours mille choses à faire, on n’avait pas besoin d’un quelconque anniversaire, contrairement à Pau où son anniversaire était quelque chose de particulier, pratiquement le seul événement culturel de la semaine, si on oubliait que Jean Luc Godard avait été au Méliès mercredi. S’il allait décider spontanément de célébrer son anniversaire, les Palois seraient obligés de venir. N’étant pas joignable, faute de téléphone, il aurait une excuse pour que ses amis berlinois oublient comme chaque année de lui souhaiter un bon anniversaire. Et ici à Pau, d’être sans amis, cela ne posait pas de problème. Cela facilitait le retour. C’était mieux de ne pas se lier trop aux autres. De plus, plus tard, Stéphane pouvait écrire: «17.05.2002! J’ai fêté mon 24. anniversaire à Pau. » Quel autre Berlinois pourrait dire ça, même pas Jochen.

 

Après tout, il ne regrettait pas de s’était levé à minuit. Il valait mieux profiter de chaque instant, chaque seconde de ce jour précieux. Le fait d’avoir cité Noir Désir au début indiquait sa maturité en rapide progression depuis la veille. Un an avant il aurait probablement seulement su prononcer des pensées plutôt banales comme: «Despite all my rage I’m still just a rat in a cage.» Il avait aussi déjà bien planifié l’ordre du jour. De 0.30 à 5.00 ouvrir et jouer avec les cadeaux, qu’il avait acheté lui-même. Pour le suspense, il les avait emballés en février. Comme il n’avait pas de bonne mémoire, il avait déjà oublié de quoi il s’agissait. A partir de 5.00 il allait rendre visite à Florian, son cher compatriote, qui logeait chambre numéro 9. De le réveiller tôt le matin garantissait que Florian avait encore suffisamment de temps afin d’aller chercher le petit déjeuner avant de devoir aller à la fac. Bien sûr, c’était à Florian de le payer (au moins cinq chaussons de pommes) et préparer, pour deux raisons: premièrement par solidarité nationale avec celui qui a l’honneur du jour et deuxièmement par obligation contractuelle. Au début de leur séjour ils avaient convenu que les jours pairs était à Stéphane et les jours impairs ainsi que les nombres premiers à Florian en ce qui concerne la bouffe. Le repas standard de Florian était des pâtes avec une sauce du Pays Basque tandis que Stéphane préparait à chaque fois des pâtes avec une sauce provençale. Ce n’était pas très varié, mais en général les Allemands n’ont pas besoin de la variété. Ils ne sont pas très ambitieux et donc capable de survivre même dans des mauvaises conditions. Après le petit déjeuner il allait réclamer les 10 Euros, comme prévu. Il préférait l’argent au cadeau, puisque le goût de Florian était complètement incompatible avec le sien.

 

Le reste de la journée, de 8 heures le matin jusque tard le soir, était réservé pour des coups de fils en Allemagne. C’était à lui de téléphoner à sa famille, afin qu’elle le souhaite joyeux anniversaire. Ces coups coûtaient assez chers, surtout celui avec sa grande mère de Pirna, qui due à son alcoolisme, ne savait se prononcer que très lentement. En plus il lui fallait normalement plusieurs heures avant d’entrer en communication parce qu’il avait un ticket de téléphone, basé sur cinq indicatifs, que l’on ne réussissait à taper correctement avant de l’avoir essayé au moins cent fois. Au lieu d’obtenir des cadeaux, il avait du moins reçu les promesses des ses parentés qu’ils lui remboursaient les frais de téléphone.

 

Si, contre toute attente, il avait fini plus tôt, il allait s’inscrire à la bibliothèque municipale. Il ne lui restait que deux mois à Pau. Mais pour s’inscrire, il fallait montrer sa carte d’identité, sur laquelle était notée sa date de naissance, une possibilité d’obtenir des félicitations des bibliothécaires. Ensuite, un bref cambriolage et le jour déclinerait en compagnie de quelques policiers de bonne humeur. Quel plaisir? Mais bon, cette perspective était encore loin. Stéphane regardait par la fenêtre. La pluie était vraiment impressionnante. 0.10. Il avait encore vingt minutes avant de d’ouvrir ses cadeaux. Pourquoi pas aller dehors, pour saluer le jour? Barboter dans les flaques et devenir complètement trempé comme autrefois, lorsqu’on était jeune, naïf et moins réfléchissant et lorsqu’on tombait moins souvent malade. Probablement il y avait même une corrélation entre ces trucs. Ou consacrer les vingt minutes au délice de se rappeler toutes les expressions argotiques et du verlan, qu’il avait déjà appris, sans s’en pouvoir servir: c’est bidon, se gourer, se taper quelqu’un, être déchiré, avoir la gole, le panier à grottes, avoir le cul pourri, salope, tu fais chier, larguer une caisse, ça caille, ça déchire, à téco, cheum, keus etc. Ou combiner les deux. Putain! Toujours des décisions à prendre, toujours choisir. Cela n’épargnait même pas l’anniversaire. Du moins, il se sentait encore une fois confirmé dans son jugement: La vie était une fête, mais une fête compliquée.