Stephan
Zeisig: Salut!
Jean
Luc Godard: Bonjour! Ca va?
S.Z.:
Non.
J.L.G.:
Pourquoi? Qu’est-ce qu’il y a?
S.Z.:
Je déteste cette question. Elle n’est pas honnête.
J.L.G.:
Pourquoi?
S.Z.:
On s’est jamais vu. Alors je ne peux pas sérieusement croire que vous
voulez savoir comment je vais.
J.L.G.:
Mais c’est seulement une tournure pour mieux entamer la discussion. Et honnêtement,
si ça va pas, vous pouvez me le dire.
S.Z.:
Non, ça va ni mal ni bien.
J.L.G.:
Bon … alors …commençons!
S.Z.:
Oui…
J.L.G.:
…alors, les questions!
S.Z.:
Oui, vous pouvez les poser.
J.L.G.:
Moi? Non, c’est vous qui les posez.
S.Z.:
Moi? Je ne suis pas préparé.
J.L.G.:
Mais moi, je suis Jean Luc Godard.
S.Z.:
Et alors? Moi, je suis Stephan Zeisig.
J.L.G.:
Mais vous n’êtes pas réalisateur. Moi, je suis connu.
S.Z.:
Mais personne regarde vos films. Par contre, il y’en a au moins une
demi-douzaine de gens qui lisent mes textes.
J.L.G.
Ah oui. Mais, c’est parce que vous écrivez des textes commerciaux.
S.Z.:
Non!
J.L.G.:
Oui!
S.Z.:
Vous les avez lus?
J.L.G.:
Non, mais ça se comprend. Qui a autant de lecteurs ne peut être qu’un lèche-cul
du goût du grand public.
S.Z.:
Et vous, vous n’êtes même pas capable de lécher. C’est pour cela que
vous vous excusez en prétendant faire de l’art. Une excuse pas très
originale.
J.L.G.:
Vous êtes venu pour vous foutre de ma gueule?
S.Z.:
Non.
J.L.G.:
Alors, vous voulez quoi?
S.Z.:
Des questions.
J.L.G.:
Bof, eh… vous avez quel âge?
S.Z.:
C’est nul comme question. Vous n’avez pas plus d’imagination?
J.L.G.:
Je ne voulais pas être trop vite trop indiscret. En plus, ça fait longtemps
que je n’ai plus fait d’interview. Donc, je suis un peu excité.
Bon…vous faites quoi ici à Pau?
S.Z.:
Je suis étudiant Erasmus.
J.L.G.:
C’est tout? Ce n’est pas très original non plus.
S.Z.:
Que voulez-vous que je fasse ici à Pau?
J.L.G.:
C’est moi qui pose les questions.
S.Z.:
Seulement cette question! Je vous en prie!
J.L.G.:
Bon, d’accord. On peut faire du sport ou aller dans la nature.
S.Z.:
Je n’aime ni l’un ni l’autre.
J.L.G.:
C’est dommage. Moi, j’aime le jogging. Et le cyclisme.
S.Z.:
Moi, j’adore le cyclisme, mais seulement en tant que spectateur. Et comme
Jan Ullrich mon coureur préféré ne participe pas au Tour de France, je suis
très déprimé.
J.L.G.:
Je vous comprends. Pour moi, c’était pareil, avec mon chouchou Tony
Rominger, qui a toujours perdu contre Miguel Indurain.
S.Z.:
Du moins il a trois fois gagné la Vuelta
et une fois le Giro.
J.L.G.:
Oui, mais pas comme Ullrich le Tour. Et en plus Ullrich est plus beau.
S.Z.:
Oui, ça c’est vrai, il n’y a pas des oreilles comme Rominger.
Elles m’ont fait toujours rire.
J.L.G.:
Ah oui, la belle époque, l’âge d’or.
S.Z.:
Oui, the golden age.
J.L.G.:
Ah vous êtes aussi nostalgique.
S.Z.:
Oui, depuis que j’ai 18 ans. Ca me tue.
J.L.G.:
Je vous comprends. Donc, j’estime que même Pau va vous manquer après votre
départ.
S.Z.: Bien sûr,
quoique j’ai jamais été vraiment heureux ici. J’ai détesté Pau
pratiquement tout le temps. Seulement les derniers mois, c’était un peu
mieux.
J.L.G.:
T’as pas d’amis ici?
S.Z.:
Bon, il est difficile de dire.
Une personne, peut-être. Peut-être deux. Le problème, je ne sais même pas
si je peut être un ami. Je sais même pas si cela existe encore pour moi.
Autrefois, oui, mais aujourd’hui. Si je vois des gens trop souvent, ils m’énervent.
Il y a peu d’exceptions. Mais en même temps on se sent seul. En outre, la
plupart des gens ne me comprennent pas. Si on parle d’une manière ironique,
si on exagère, si on provoque, ils essaient de t’éviter. Il faut toujours
jouer le mec super sympa et ennuyeux pour avoir du succès. Il suffit que tu
refuse la tournure ça va ?. Ce
sont souvent que des menteurs.
J.L.G.:
Moi, je mens aussi.
S.Z.:
Je mens aussi quelquefois, mais moi, je fait pas semblant d’aimer
quelqu’un lorsque ce n’est pas le cas. On ne m’a jamais posé autant de
lapins pendant si peu de temps comme ici. C’est normal que tu deviens méfiant.
Moi, j’essaye d’être fiable. Je suis pas rancunier et j’accepte des
excuses, mais si ça arrive régulièrement… Le pire, c’est de ne pas
savoir ce que les autres pensent de toi, surtout quand c’est quelqu’un que
tu aime un petit peu. Ca me rende dingue. Quand je le sais, je peux facilement
m’en foutre, mais sinon. Finalement, je croie, ce n’est pas difficile, de
savoir, si j’aime quelqu’un ou pas. Je critique, mais je suis assez honnête.
Et on peut aussi critiquer une personne et l’aimer en même temps. Bon,
malheureusement, beaucoup de gens sont des abrutis et ne le comprennent pas.
J.L.G.:
Partout, ce sont les abrutis qui dominent.
S.Z.:
Ouais, je le sais. Mais ici, j’avais besoin de rencontrer quelqu’un qui ne
l’est pas. Quand on se sent seul, c’est plus frappant. Je ne m’aime pas
moi-même. J’essaie de ne pas être trop tolérant avec moi même. Comment
être tolérant avec des autres, qui ne pensent qu’à eux-même, avec des étudiants
qui s’en foutent des autres, pour qui la vie consiste à aller à la Noche …
J.L.G.:
La Noche, c’est quoi?
S.Z.: …une
boîte de merde, j’ai jamais vu ça avant …à fumer des joints, se
pinter la gueule et à sauter quelqu’un. Ils sont pratiquement lobotomisé.
Mais si tu les critiques, ils commencent à lamenter. C’est la seule chose
comment tu peux les faire réagir. C’est dommage. En plus, ils ne
comprennent rien de la critique. Tu a seulement enfreint une convention
sociale. Je ne peux pas pardonner ça à des étudiants qui devraient avoir
les capacités intellectuelles pour assumer plus de responsabilité dans leur
vie.
J.L.G.:
Quelle responsabilité?
S.Z.:
Ca, je ne dis pas. Je ne suis pas encore professeur.
J.L.G.:
Et toi, tu ne te fous pas des autres?
S.Z.:
Si je le fais mais j’ai une mauvaise conscience. Et si ce sont des gens qui
le méritent, bien sur.
J.L.G.:
Tout le monde devrait être comme toi?
S.Z.:
Non, je veux rester un cas particulier. En plus, mes propres fautes me rendent
déjà dingues. Mais si tu vois que beaucoup d’autres sont encore pires,
comment ne pas être réaliste et ne plus rien attendre de la vie.
J.L.G.:
Tes fautes?
S.Z.:
Oh… je n’ai pas envie de toutes les citer. Si quelqu’un en ressent le
besoin, il peut le faire. Une, je vais vous trahir, mais cela reste entre
nous. Quelquefois je suis certes un peu sévère dans mes jugements. Mais bon,
c’est peut-être le seule chose qui me reste de ma jeunesse, la qualité de
pouvoir détester tout.
J.L.G.:
Peut-être, c’est seulement l’amertume, comme chez moi. Je voulais pas te
le dire, mais c’est pour cela, que je tourne de tels films.
S.Z.:
Peut-être. Je ne l’espère pas.
J.L.G.:
Alors, tu déteste tout et tout le monde à Pau?
S.Z.:
Non, le Matisse, ça me plaît. C’est un bar. J’aime J.P., le gérant. Le
Méliès aussi. La bibliothèque Arbizon. Et la laverie place du Forail.
J.L.G.:
Ah oui! Elle est bonne, la laverie?
S.Z.:
Impeccable.
J.L.G.:
Bon, au cas échéant, je vais y passer …alors, on finit?
S.Z.:
Je voulais encore dire, qu’il y des bons groupe de music: Okploïde,
Kaligare et Peter Plane. J’en ai des disques et c’est bien pour ma réputation
à Berlin puisque là-bas personne ne les connaît. Je mentionne aussi
Immortal Ayatollah. Ca ne me plaît pas, c’est du Black, mais je connais le
chanteur.
J.L.G.:
Du black, c’est quoi.
S.Z.:
C’est du Black Metal.
J.L.G.:
Black Metal, c’est comme Gun’s’Roses?
S.Z.:
Pour beaucoup de gens oui, mais en réalité non. Je peux pas l’expliquer.
Il fallait mieux passer chez mon pote Guillaume.
J.L.G.:
D’accord. Bon, c’est fini?
S.Z.:
Oui.
J.L.G.:
Après tout, l’interview n’était pas si mal que ça.
S.Z.:
Oui. Vous savez que les Français trouvent que les Suisses ont un accent
rigolo, quand ils parlent le français?
J.L.G.:
Ils pensent la même chose des Allemands.
S.Z.:
Je sais, mais on me prend souvent pour un Anglais.
J.L.G.:
Ouf, ça, c’est pire quand même.
|